Théâtre Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
Tel : 01 53 96 70 00
Métro : Champs-Elysées Clémenceau
Un spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer
Costumes de Nathalie Saulnier
Lumières d’Alain Poisson et Nicolas Gilli
Musique de Julien Baer
Avec (par ordre d’entrée en scène) : Leila Bekhti ou
Léa Drucker (Sofia), Lionel Abelanski ou Jean-Michel Lahmi (Le type du
ministère), Christophe Meynet (Chris), Patrick Boshart (Pat), Edouard Baer
(Edouard), Atmen Kelif (Arouet), Alka Balbir (Marianne), Guilaine Londez
(Suzanne), Philippe Duquesne ou Vincent Lacoste (Fils de), Jean-Philippe
Heurteaut (Le pianiste)
L’histoire :
Edouard Baer est chargé par le Ministère des Affaires Etrangères de redorer l’image
de notre cher pays en perte d’influence… Une occasion unique : la soirée d’ouverture
du G20 à Paris… Un léger contretemps : c’est demain et, étonnamment, Edouard
n’a rien préparé.
Une nuit. Une nuit durant laquelle Edouard, sa troupe, ses
amis, anciens, nouveaux ou de hasard, doivent faire surgir la solution de leur
imagination. Une France moderne, enthousiasmante, une France qui ré-enchanterait
le monde, c’est quoi ? C’est où ? C’est comment ?...
Mon avis :
C’est le cinquième spectacle écrit et mis en scène par Edouard Baer et c’est,
sans conteste, le meilleur. Les trois précédents, pour débordants de fantaisie
et de délire qu’ils aient été, s’étaient révélés quelque peu disparates. Ils s’apparentaient
plus à une auberge espagnole où chacun amenait son manger et les plats n’avaient
pas tous la même saveur, même si on y faisait souvent Miam Miam... A la française !
est un divertissement parfaitement abouti, tout en donnant perpétuellement l’impression
de ne pas être maîtrisé. Mine-de-rien, malgré la folie douce qui y règne, on
sent qu’il y a une vraie rigueur. Cette fois, ça ne part pas dans tous les
sens. Le talent d’Edouard Baer est de jouer de son apparente incapacité à gérer
un grand bazar, alors que tout est cohérent. Chaque pièce de ce puzzle
foutraque s’emboîte malicieusement.
Ça commence bien sûr comme un joyeux foutoir. Chacun ne sait
pas vraiment pourquoi il ou elle est là, et ce n’est pas Edouard Baer, le
prétendu déus ex machina, qui ne va pas les aider à y voir plus clair car
lui-même ne sait fichtrement pas comment il va honorer la mission qui lui a été
assignée par un représentant du Ministère des Affaires Etrangères : monter
devant les représentants du G20 réunis à Paris un spectacle vantant les beautés
et le mérite de la France… Vaste programme dont Edouard n’a pas écrit la
moindre ligne. Et nous sommes à la veille de l’évènement… Heureusement, il est
doté d’un optimisme à tout épreuve et, surtout, il peut compter sur sa troupe
de comédiens pour l’aider dans cette folle entreprise.
On retrouve alors avec le plus grand plaisir l’univers
absurde, burlesque et cocasse qui est l’image de marque d’Edouard Baer. Ce qu’il
écrit, joue et fait jouer n’appartient qu’à lui. Il a un style inimitable, une
écriture aussi racée que pleine de fantaisie, et sa manière de jouer est
unique. Il a en plus ce cadeau inné qu’est sa voix au timbre chaud, onctueux,
reconnaissable entre toutes… Et puis, autre signe de talent, et non des
moindres, il sait s’entourer. Personne n’est là par hasard. Chaque membre de
cette troupe hétéroclite est à son image : il se distingue par une façon
de jouer la comédie sans en avoir l’air. Ils sont tellement simples et
naturels, qu’on n’a pas l’impression qu’ils campent un personnage et qu’ils
interprètent un texte.
Pendant près de deux heures, je me suis laissé emporter dans
cette folle odyssée avec un bonheur croissant. La mise en scène, très dépouillée,
est ingénieuse. Elle n’est pas là pour accaparer notre attention avec des
effets superfétatoires, mais pour mettre en valeur les différentes saynètes ou
tableaux. Ça fourmille de trouvailles, de gags désopilants… Mais ce qui le plus
emballé, c’est la qualité du texte et, partant, des dialogues. Il nous a fait
un Edouard d’honneur. Le texte est d’une richesse incroyable. Ça foisonne de
partout. J’ai ressenti cette sensation extrêmement rare du rire intelligent. C’est
truffé de jeux de mots, de répliques savoureuses, de formules étonnantes de
finesse, d’allusions sur l’actualité, de clins d’œil à la politique… L’expression
qui me revient systématiquement telle un leitmotiv, c’est « sans en avoir
l’air ». Sans en avoir l’air, Edouard Baer instille dans son discours des
petits messages pas du tout subliminaux, mais au contraire bien concrets. Il
aborde sans en avoir l’air des thèmes aussi forts que la religion, l’intégration,
la tolérance, la démocratie. Les choses sont dites, et bien dites, mais
enrobées de sucre et de sourires. Ça passe d’autant mieux. Et on se les garde
longtemps en bouche.
En même temps, il réussit le tour de force de nous présenter
une sorte de kaléidoscope de ce que représente pour lui la France, pays on ne
peut plus riche sur tous les plans, culturel, historique, gastronomique… Avec
lui, l’habit fait le (patri)moine. Tout est présenté sous forme d’esquisses, ce
qui apporte encore plus d’images et de rythme.
Et puis chacun des protagonistes de ce spectacle, à commencer
par lui, a été doté d’un profil psychologique fort bien dessiné.
Edouard – le personnage – est un doux rêveur. Il ne supporte
pas le conflit, il préfère se retrancher dans une charmante mauvaise foi. Il n’est
pas tout à fait sorti de l’enfance. La preuve, en guise d’antistress, il a
encore recours à son doudou, Papinou. Ce n’est pas un teddy baer mais un
porcelet en peluche qui s’anime et qui parle. Edouard est aussi un poète,
décalé certes, mais un poète ; à la Cyrano. Pétri d’humanité, il aime les
gens qui l’entourent, or il est trop lunaire pour le leur dire. Mais ça se voit
tellement !
Autour de lui, c’est un peu le monde des Bisounours… Sofia,
son assistante, fait tout son possible pour l’épauler. Elle se conduit en femme
amoureuse, elle est toute à sa dévotion… Le type du Ministère se dévoile peu à
peu. Dépassé par les évènements, il fait apparaître une grande fragilité et
cherche en permanence du réconfort… Chris est un peu l’homme à tout faire. C’est
un brave garçon, très dévoué, d’humeur égale. C’est un artiste, mais il n’est
pas encore assez mature pour assumer ses dons et affirmer sa personnalité… Pat,
lui, est un doux anar. Il a la subversion chronique, l’anticonformisme
systématique et un sens de la fraternité viscéral… Arouel est un personnage à
part. Il est en décalage permanent. Lui aussi est un artiste. Il déborde d’imagination,
d’inventivité et de drôlerie, mais il a un problème ; il ne pense qu’à
chat ; ce qui le rend vulnérable et touchant… Marianne est un « rêve
éveillé ». Elle est tellement heureuse de quitter son piédestal pour se
confronter à la vraie vie, qu’elle se même à l’aventure avec une grande générosité…
Suzanne, elle, est naïve et romantique. Elle est très attachante, altruiste,
parfois même émouvante… Et enfin, il y a le « Fils de… ». Au début,
il se montre capricieux, détestable et infatué. Puis, gagné par l’atmosphère de
gentillesse ambiante, il se glisse progressivement dans le moule…
Je n’ai qu’une petite – minuscule – réserve : je n’ai
pas trouvé les paroles des chansons à la hauteur du texte de la pièce. Elles
sont trop simplistes, surtout celle qui s’intitule « Les vins ». Sur
un sujet aussi riche et varié, les rimes auraient pu être d’un bien meilleur
cru. En revanche, rien à dire sur les mélodies, elles sont pimpantes et
efficaces.
Ce sera là mon seul hiatus car A la française ! est un spectacle absolument enchanteur à tout
point de vue. Pendant deux heures, la salle était secouée des hoquets des
spectateurs, au détriment parfois de certaines réparties couvertes par les
rires provoqués par la réplique précédente. En tout cas, Edouard Baer nous le
confirme : nous avons la chance de vivre dans un bien beau pays. Il est
bon de nous le rappeler quelques fois…
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