vendredi 14 septembre 2012

Le Journal d'Anne Frank


Théâtre Rive Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 35 32 31
Métro : Edgar Quinet / Gaîté

Une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène par Steve Suissa
Décors de Stéphanie Jarre
Lumières de Jérôme Almeras
Costumes de Sylvie Pensa
Avec Francis Huster (Otto Frank), Gaïa Weiss (Miep Gies), Roxane Duran (Anne Frank), Odile Cohen (Edith Frank), Katia Miran (Margot Frank), Charlotte Kady (Augusta van Pels), Yann Babilée Keogh (Hermann van Pels), Bertrand Usclat (Peter van Pels), Yann Goven (Frotz)

L’histoire : En 1945, Otto Frank, revenu des camps, attend tous les jours ses deux filles sur la quai de la gare d’Amsterdam. Lorsqu’on lui apprend qu’Anne et Margot ne reviendront pas, il ose ouvrir le journal intime de la cadette, Anne, et découvre avec stupeur qu’il ne connaissait pas vraiment sa fille… Racontée par Anne, l’étrange clandestinité qui enferma neuf personnes, trois familles, si différentes, dans l’annexe de son entreprise devient drôle, piquante, pleine de moments de crainte mais de moments de joie aussi. A la grande surprise de son père, Anne est plus profonde, plus spirituelle, plus sexuée aussi qu’il ne croyait. Et parfois, plus révoltée…

Mon avis : Eric-Emmanuel Schmitt nous propose subtilement une nouvelle lecture du Journal d’Anne Frank, livre qu’il a lu et relu. Il a eu l’idée de nous le faire revivre à travers le regard du seul rescapé des camps d’extermination, Otto Frank, le père : un homme qui essaie de survivre après la dramatique disparition de sa femme, Edith, et de ses deux filles, Margot et Anne. Pour réussir son parti pris, il a traité sa pièce de façon cinématographique. D’abord en s’appuyant sur des projections, puis en appliquant le système du flash-back.
La mise en en scène est d’une fluidité remarquable. On passe d’une époque à l’autre sans à-coup. C’est tout simple : on tourne les pages du Journal intime d’Anne et on en découvre le contenu en même temps que son père. On s’émeut et on sourit à l’unisson de ses réactions et de ses sentiments. Rien ne nous est imposé, il n’y a aucun manichéisme. On n’a qu’à se laisser porter…

Disons-le tout de suite, Francis Huster campe magistralement Otto Frank. Tout en retenue, la sensibilité à fleur de cœur, il donne à son personnage une formidable dignité. Lui-même père de deux filles, lui-même concerné par l’Holocauste, il est évident qu’il opère un douloureux transfert… Je suppose que le vrai Otto Frank possédait cette personnalité. Il est l’image de l’homme idéal. Il est bon, généreux, tolérant, sensible, aimant, tout en sachant se montrer autoritaire quand il le faut avec ses filles et, plus particulièrement, avec sa petite rebelle, Anne. C’est un homme rare. Un Juste.
Au fur et à mesure de sa lecture, il découvre une autre Anne, plus proche d’une jeune femme que d’une adolescente de 14-15 ans. Et aussi, il découvre un vrai talent d’écrivain. A travers les lignes, il revit et revoit différemment les mois passés dans leur cachette. A travers les yeux de sa fille, il porte un autre regard sur les habitants de l’Annexe. Ce Journal lui redonne la force de vivre car il devient le dépositaire d’une œuvre, d’un témoignage qu’il se doit de faire connaître au plus grand nombre. Soudain, il est investi d’une mission sacrée qui implique autant le souvenir de sa fille que le devoir de mémoire. Sa vie a de nouveau un sens.

L’Annexe, joliment reconstituée par Stéfanie Jarre, nous transporte dans les années 40, à Amsterdam. La prédominance de tons orangés lui donne une certaine chaleur. C’est sobre, propret et bien rangé. Dans cet univers clos vivent huit personnes, la famille Frank, la famille van Pels et un homme prénommé Frotz. Leur seul lien avec l’extérieur est leur logeuse, la dévouée Miep. Miep qui a un rôle clé dans cette histoire. Car non contente d’avoir été leur protectrice, c’est elle qui a récupéré le Journal abandonné par Anne, qui le remettra après la guerre à Otto Frank et deviendra sa confidente discrète et attentionnée.

Bien sûr - Journal oblige – le pivot de la pièce, c’est Anne. C’est une ado débordante de vitalité, très mature pour son âge et excessivement volontaire. C’est rien de dire que c’est un sacré caractère. Comme mue par un funeste pressentiment, elle aime la vie et va à l’essentiel. Elle voue à son père un amour et une admiration sans bornes. En revanche, elle est en conflit permanent avec sa mère. Et, très observatrice, elle a un jugement très arrêté sur tous les personnages qui partagent le refuge… Remarquable prestation de Roxane Duran dans ce rôle écrasant. Avec son énergie, ses taquineries, ses emportements, ses réflexions, elle monopolise l’attention. Elle nous offre là une impressionnante performance.
Autant Anne est présente, autant sa sœur, Margot est effacée ; comme si Anne dévorait tout l’espace. Mais elles s’entendent néanmoins très bien… Edith, la mère, est relativement réservée. Elle ne s’enflamme que pour se chamailler avec Anne.
Chez les van Pels, le personnage d’Augusta offre à Charlotte Kady un rôle à la hauteur de sa générosité. Elle masque son inquiétude derrière un excès de volubilité, d’exubérance. Et plus elle s’agite plus son mari, Hermann, est calme. Mais quand elle se montre trop fofolle ou inconséquente, il ne se prive pas de lui dire son fait avec une grande fermeté.
Autre beau personnage, celui de Miep Gies. Cette grande et jolie jeune femme est une belle âme.

Au-delà d’être une pièce de théâtre en tout point réussie, le Journal d’Anne Frank est porteur d’un magnifique message de tolérance. Il n’y a jamais de haine, d’agressivité ou d’amertume dans les propos. En dépit des souffrances qu’il endure, Otto Frank est plus enclin au pardon qu’au ressentiment. C’est une pièce à voir en famille dans laquelle, malgré le drame qui se dessine, on rit énormément, surtout avec les personnages d’Anne et d’Augusta. C’est une pièce pleine de vie, bien qu’on n’oublie jamais que la mort plane sur les habitants de l’Annexe… A la fin, après les nombreux rappels, on croisait des regards brillants. Brillants du plaisir que procure une pièce profonde, intelligente et superbement interprétée, et brillants d’une émotion difficilement contenue…

1 commentaire:

karine a dit…

bonjour,

je consulte régulièrement votre blog pour avoir des idées de pièces ou spectacles à aller voir. j'apprécie beaucoup vos avis.
aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de réagir sur votre utilisation du terme "Juste". je ne pense pas qu'on puisse qualifier Otto Franck de "Juste", car ce terme s'applique à des non-juifs qui sont venus en aide aux juifs, notamment pendant la seconde guerre mondiale.

bien cordialement,
karine