Théâtre Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75008 Paris
Tel : 01 45 22 08 40
Métro : Villiers / Saint-Lazare
Un texte écrit et interprété par Daniel Picouly
Mise en scène de Marie-Pascale Osterrieth
Décors de Pierre-François Limbosch
Lumières de Laurent Castaingt
Le sujet :
Comment devenir Proust ? Pourquoi les filles sont-elles la plus mauvaise
raison de lire ?... Qu’est-ce que la « somptueuse médiocrité »
de nous ? Faut-il lire les Livres de Poche par ordre de numéros ? Par
quel mystère ce qu’on écrit est génial le soir même et nul le lendemain ?
Est-ce vrai qu’il n’arrive d’histoires qu’à ceux qui savent les raconter ?
Vous gagnez combien ?
Des questions auxquelles un écrivain se prépare à répondre
en attendant des élèves… qui n’arrivent pas.
Mais la vraie question est de savoir pourquoi il se retrouve
debout sur le bureau, les mains sur la tête, et veut tuer son instituteur !
C’est qu’il revient pour la première fois dans la classe de
ses 10 ans ; il en a 60 et revit une humilation qui a contribué de faire
de lui un écrivain.
Cet écrivain, c’est Daniel Picouly…
Mon avis : C’est
bizarre, j’ai lu à propos de ce spectacle des critiques peu enthousiastes,
voire franchement sévères (Le Figaroscope, evene.fr, Fous de théâtre) et d’autres
bien plus positives (Pariscope, L’Express, Froggy’s delight)…
Bien sûr que Daniel Picouly n’est pas un comédien ! Il
est même bien moins bon que son presque homonyme sous le nom duquel on l'apostrophe régulièrement, Michel Piccoli… Ce n’est même pas à proprement parler une
surprise. On ne s’improvise pas comédien à 63 ans. Et alors… Qu’est-ce qu’on
est venu voir et, surtout, écouter au Tristan Bernard ? Un type connu et
reconnu en tant qu’écrivain, qui nous raconte son enfance et le pourquoi et le
comment il s’est lancé dans l’écriture.
Honnêtement, j’ai passé un très bon moment. Daniel Picouly
est un diésel. Son moteur commence vraiment à bien tourner au bout d’un quart d’heure.
Au début j’ai été un peu gêné par son ton monocorde et j’avais parfois du mal à
saisir ce qu’il disait lorsqu’il marmonnait. Mais ce moment d’inquiétude a été
progressivement dissipé, et plus il narrait, plus je m’intéressais à ses propos
et plus je prenais de plaisir à l’écouter. Le texte – c’est naturel - est à la
hauteur de son écriture. Il utilise un langage clair, précis et imagé. Il a en
outre un tel art de la formule qu’on a envie d’en retenir certaines pour les
resservir ensuite en société (par exemple ce conseil pour peaufiner son style :
« On doit écrire en amant et se relire en mari ! »)
Mais revenons au tout début… Le décor nous transporte dans
une salle de classe de la fin des années 50. Tout y est : l’estrade, le
tableau noir, un planisphère, une planche anatomique, un squelette, les petits
pupitres individuels… Daniel Picouly est juché sur un bureau, la tête entre les
mains, dans la posture de l’élève puni. Il a 10 ans, il est en CM2. Il a été
mis au pilori, avec en guise de pancarte son cahier d’orthographe, par un
instituteur remplaçant qui vient de décréter qu’il était « bête à manger
du foin ». Une véritable insulte pour le gamin, un traumatisme qui le
marquera longtemps…
Et Daniel raconte… Il raconte l’école, la vie de famille. Il
porte un regard tendre et souriant sur la société de l’époque. Et puis il
raconte son insatiable curiosité, ses jouets, le foot, ses premiers émois
amoureux et comment lui est venu le goût pour la lecture. C’est très plaisant,
empli de poésie et d’humour. Il rouvre devant nous l’énorme paquet de ses
madeleines de Proust : ses soldats Mokarex, son Alfa-Roméo en Dinky Toys, sa
grue jaune… Il raconte tout ce qui a contribué à le construire et amené
progressivement à l’écriture, sa « fabrique de liberté ». Il s’est
donc « fabriqué » un cocktail composé de trois ingrédients principaux :
une imagination débordante (il inventait quotidiennement une histoire pour ses
deux plus jeunes sœurs), Marcel Proust et… Nous Deux ! Vous secouez le
tout, et vous obtenez trente-huit ans plus tard Le Champ de personne.
Daniel Picouly compense largement son manque de métier en
matière d’art dramatique par une grande élégance et un charisme indéniable. Il
occupe bien la scène, sait donner de la vie à ses souvenirs. Il a la nostalgie
souriante, le réalisme ludique. Et il donne aussi à réfléchir sur l’incidence
que peut avoir la maladresse d’un pédagogue sur l’avenir d’un enfant d’une
dizaine d’années. Lui, il a su faire de son humiliation son moteur. Mais
combien, suite à ce genre de condamnation péremptoire, seront découragés et,
marginalisés, deviendront des laissés-pour-compte ? C’est tout de même une
sacrée responsabilité.
N’en déplaise aux esprits chagrins, La faute d’orthographe
est ma langue maternelle est un monologue très plaisant. Il est remarquablement
écrit et l’on sourit très souvent à certaines évocations. Franchement, il y a
pire comme pensum…
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