Disques Wagram
Sortie le 16 octobre 2015
Je tiens Yves Jamait pour un de
nos tout meilleurs auteurs-compositeurs-interprètes de cette dernière décennie.
Il est à l’image de ces vins
spécifiques issus de ce qu’on appelle les « vendanges tardives ». Leur
définition s’applique parfaitement à son œuvre : « Ces raisins plus
mûrs donnent des vins riches en sucre et
en alcool, aux goûts puissants, souvent moelleux… ». Vous substituez le
mot « vins » par « chansons » et vous obtenez du Jamait
tout cru. A l’instar de ses précédentes productions (cinq albums en dix ans),
le millésime 2016 est encore d’une haute teneur et d’une belle tenue.
Yves Jamait est un chanteur de
proximité. Il ne nous parle que de ces choses qui émaillent notre quotidien, de
ces sentiments qui nous chatouillent la tête et nous gratouillent le cœur. Son
écriture – remarquable – est imagée, simple tout en étant riche, concise,
précise, sans fioritures tout en restant formidablement poétique. Le garçon en
a sous la casquette ! A l’écoute de ses chansons, on sent que chaque mot a
été choisi (élu ?) après mûre réflexion. Chaque texte est un jeu de mécano
dont chaque pièce est un élément essentiel pour que l’édifice soit à la fois
solide et esthétique. C’est fignolé, raboté, souligné, ciselé. C’est de l’artisanat,
quoi, dans ce que ce terme a de plus noble.
N’ayant pas le livret à ma
disposition, je n’ai pas pu disséquer les textes à l’envi comme j’en ai la
maladive manie. Je me suis donc contenté d’écouter le CD promotionnel en en
goûtant la substantifique moelle. Je me suis laissé porter par mes sensations…
Aujourd’hui, après plusieurs écoutes, je me souviens que j’ai beaucoup,
beaucoup aimé Je me souviens.
Bien qu’il s’en défende, j’ai
trouvé son album empreint d’une belle nostalgie. Cinq titres au moins en sont
totalement imprégnés : Le temps emporte
tout, Je me souviens, Les poings de mon frère, Je ne reviendrai plus, Le bleu…
Quant au facteur temps, il est quasiment omniprésent. Le temps dans toutes ses formes :
passé, présent, avenir. Parfois même, comme dans Je ne reviendrai plus, il tourne à l’obsession. J’ai aimé aussi ce
retour vers l’enfance (Le temps emporte
tout, Les poings de mon frère) à la fois chargé de tendresse et d’amertume…
Et lorsque j’ai essayé de synthétiser mon ressenti, les trois mots qui se sont
immédiatement imposés à moi ont été « ode à la vie ».
Par ordre d’apparition, j’ai
particulièrement été séduit, ému ou amusé par :
Le temps emporte tout. C’est
un peu son Mistral gagnant à lui.
Images sépia d’une enfance apparemment plus que modeste. La grosse gomme du
temps qui efface tout, le constat véhément que « Tout fout l’ camp »,
le souvenir de révoltes velléitaires, mais un réaliste carpe diem en conclusion :
« La vie, c’est maintenant ». Tout cela sur un arrangement très riche
qui va crescendo.
Toi. Un bijou que je
qualifie de reggae-tzigane. Quelle ambiance, quel débit, quel violon, quel solo
de guitare ! Chanson ultra-positive sur les vertus curatives de l’amour. Cet
amour sincère et franc qui vous redonne goût à la vie. Ça swingue grave et ça
donne la pêche.
J’en veux encore. Hymne à
la vie. Cri de colère et de résistance. Il faut profiter de chaque instant qui
passe, siroter son verre jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à plus soif, et
renouveler son désir, muer son appétit en fringale et se nourrir du moindre
témoignage d’amour et de ces beaux moments qu’offre la tendresse filiale.
Réalité. De nouveau
ambiance reggae pour une chanson ironique et satirique de la téléréalité et plus
particulièrement des télés crochets. Dénonciation malicieuse de ce leurre
télévisuel où le candidat, manipulé, n’est qu’un jouet aux mains des
productions audiovisuelles et des médias.
Salauds. Une de mes deux
préférées avec Toi. Superbement
écrit, ce texte déclinant toutes les variétés de « salauds » est réellement
jouissif. Ils sont partout ! Et puis, quelle ambiance ! C’est une
formidable chanson de fin qui se termine en fanfare avec un chant choral
particulièrement festif et fédérateur. Comme Réalité, ce titre devrait prendre toute sa saveur sur scène car c’est
une chanson de partage.
Là, ce ne sont que les chansons
que j’ai subjectivement le plus appréciées. Car j’ai tout aimé. J’ai trouvé
dans chaque chanson un motif (textuel, thématique ou musical) quelque chose qui
excite mon intérêt :
La vacherie subliminale et
implacable de Je me souviens (pratique la mémoire sélective) ; la
remarquable écriture de J’ai appris avec ses variations sur
les effets du temps ; la sensation de vide, de souffrance et de désolation
de D’ici,
qui m’a fait penser au Désert des Tartares
de Dibo Buzzati ; l’hommage vibrant et la réhabilitation d’un instrument
méprisé parce que populaire, l’Accordéon ; le joli climat
plein de pudeur et de tendresse de cette déclaration d’amour qu’est Les
poings de mon frère ; dans Je ne reviendrai plus, tout est dit
en une seule phrase : « maintenant, je vis », oubliés les
erreurs commises, les espoirs brisés, les remords, les mauvais choix et ne pas
ressasser « ce qu’on a fait naguère » ; l’écriture subtile,
saupoudrée de très bons jeux de mots phonétiques (« laissant l’autre et l’un
seul ») et de double sens (« la dernière bière ») ; l’écriture
encore, particulièrement raffinée de Le bleu, avec énumération de toute
la palette de ce ton pour ne finalement la réduire qu’en ce vêtement symbole de
la classe ouvrière, le bleu de travail, ce compagnon de toute une vie modeste.
Ajoutez, tout au long de cet
album, des ambiances musicales très colorées et variées, arrangées avec un soin
extrême et, enfin, une interprétation en tout point habitée et vous obtenez
avec Je me souviens, un des plus beaux albums de la cuvée 2015. A déguster sans
aucune modération.
Gilbert « Critikator »
Jouin
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