Polydor/Universal Music
Sortie le 23 octobre 2015
Non, non, non, Eddy Mitchell n’est pas mort, il « big
bande » encore !...
Et j’en suis ravi.
Que voulez-vous, j’ai toujours aimé Eddy Mitchell. Ça fait
plus de cinquante ans que ça dure. Les trois premiers 45 tours que j’ai pu
m’acheter ont été ceux de Richard Anthony avec Nouvelle Vague, de Johnny Hallyday avec Laisse les filles et des Chaussettes Noires avec Tu parles trop… J’avais même eu le
bonheur, débarquant de ma province, d’aller voir ces derniers sur scène à la
Mutualité.
J’aime tout chez l’artiste Eddy Mitchell : sa voix, sa
gestuelle très étudiée, son éventail musical, ses goûts cinématographiques, son
humour second degré et, surtout, les mots de son parolier fétiche, Claude
Moine.
Big Band est son
trente-sixième album studio. Ça en représente des chansons ! Or, il
parvient à chaque fois à se renouveler. Et, comme il puise une bonne moitié de
ses thèmes dans l’actualité, il est toujours en phase avec son époque.
Cette fois, il effectue une sorte de retour en arrière en
choisissant une couleur musicale spécifique, le big band, qui a connu son plein
essor entre les années 1930-1960 avec des orchestres dirigés par des chefs
aussi starifiés que Duke Ellington, Count Basie ou Glenn Miller.
Quand on évoque ces grandes formations, on voit aussitôt des
images de musiciens très élégamment vêtus, assis derrière le pupitre et se
levant lorsqu’il s’agissait de se livrer à un solo. Et qui dit Big Band dit
cuivres. Ils sont en effet prédominants. S’appuyant sur une section rythmique
élémentaire, ils apportent chaleur, sensualité, ambiance, swing ; une
couleur qui n’appartient qu’à eux.
Dans ce domaine, l’album d’Eddy est parfaitement conforme à
ce qui se pratiquait alors. Dans ce climat tour à tour feutré ou pêchue, Eddy
est comme un poisson dans l’eau. Il est dans son élément. Il
« croone » grave.
Inutile donc de s’étendre sur la qualité musicale évidente
et irréprochable de l’album (il a été enregistré à Los Angeles avec de grosses
pointures américaines et réalisé par l’inamovible et talentueux complice de
toujours Pierre Papadiamandis) pour ne s’attarder que sur les chansons.
Photo : Eric Feferberg/AFP |
Claude Moine a encore frappé juste. Big band ne contient que de bons textes, originaux, variés,
nostalgiques, drôles… Je trouve même que sa plume s’est encore affinée. Et Eddy
Mitchell a aujourd’hui suffisamment de métier et de distance pour les
interpréter en leur donnant toute leur saveur.
L’album ouvre sur un titre qui prend hélas actuellement un
sens encore plus fort : « Il faut vivre vite car la mort vient
tôt ». On sent que cette exhortation est sincère. Quel que soit son
origine, sa fonction, son métier, son sexe, ses hobbys ou ses vices, il faut
profiter de la vie. Eddy y pratique un name dropping de bon aloi. Enfin, il
termine chaque couplet en faisant allusion à My Way dont, ne l’oublions pas, la première phrase est « And
now, the end is near »…
Après cette injonction quasi philosophique, plusieurs thèmes
sont abordés.
1/ Il y a la nostalgie.
Sur une ambiance langoureuse de piano bar, Tu
ressembles à hier ressemble à la longue plainte teintée d’ironie d’un
amoureux déçu par le Paris d’aujourd’hui… Dans Un rêve américain, que
l’on sent très autobiographique, il projette une passerelle entre Paris et L.A.
ou San Francisco. Mais ses projets de départ restent velléitaires. Il décrit
très finement le contraste entre la petite parisienne vie étriquée et les
grands espaces américains idéalisés…
2/ Il y a l’amour.
Dans Un cocktail explosif, il se la joue
gros matou malicieux qui propose sa potion magique pour provoquer un agréable
abandon amoureux… Cette attitude, il la développe dans Si j’étais vous, petit
coup de drague sympa. Le matou se métamorphose en nounours protecteur, passeur
de baume sur les blessures de cœur. Il se hausse certes un peu du col, mais la
proposition semble néanmoins fiable… Quant à Avec des mots d’amour,
elle lui permet de mettre en avant une fragilité bonhomme due à la solitude. Sa
tentative de rapprochement avec l’absente est teintée d’une résignation fataliste.
Chanson lucide sur l’érosion du temps.
3/ Il y a la société.
Dans Combien je vous dois, il s’amuse des
phénomènes de mode (yoga, méditation, défense de l’environnement, pollution). Ou
l’art de se soigner soi pour sauver l’humanité. Tout cela pour finir en
consultation chez le psy… Il enfonce le clou avec Je n’ai pas d’amis. Il y
avoue ne pas avoir succombé au diktat des réseaux sociaux. Chanson en forme d’autoportrait
dans laquelle il assume avec honnêteté son passéisme… Comme son titre l’indique,
Journaliste
et critique est un pamphlet acide adressé à ces frustrés qui pratiquent
une certaine forme de journalisme de bas étage et qui s’arrogent le pouvoir d’avoir
droit de vie et de mort sur une œuvre artistique.
4/ Et il y a l’Histoire.
Quelque chose a changé est une magnifique chanson hommage à la
parole de Martin Luther King et aux retombées de son message de paix et de
tolérance. Chanson humaniste, quasi militante, traitée un peu façon gospel.
Gilbert « Critikator » Jouin
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