mercredi 8 juin 2016

Renaud "Comme un enfant perdu"

XO Editions
312 pages
18,90 €



J’en ai lu des biographies de Renaud ! Y compris et surtout celles que lui a consacré son frère Thierry… Mais cette fois, c’est différent. Comme un enfant perdu est une AUTObiographie. Renaud s’y exprime à la première personne. Elle possède donc une toute autre valeur. Ici, rien n’est gommé, rien n’est éludé, rien n’est enjolivé. Renaud s’y exprime en toute sincérité. Cet ouvrage où, pendant qu’on le lit on a l’impression d’entendre sa voix, est sans concession, sans complaisance. Renaud s’ouvre à nous, dans le sens chirurgical du terme, et il gratte jusqu’à l’os…

Heureusement que, dans le titre du livre, il y a la conjonction « Comme ». Ce mot nous rassure. Renaud n’est donc pas totalement « perdu ». Même s’il lui arrive fréquemment de le ressentir, il reste toujours une lueur d’espoir.
Renaud est un être complexe. Parfois même complexé. A cela, il y a de multiples raisons. Il ne faut jamais oublier que Renaud est de culture protestante. Il possède dans ses gènes une forme d’austérité que lui a transmise son père qu’il décrit en outre comme « pudique, affectueux mais peu enclin à le manifester, même si nous le devinons d’une grande sensibilité ». Renaud est ainsi, il a hérité d’une espèce de mal-être ancestral.

Il me fait penser à cet écolier spartiate qui avait dissimulé un renardeau sous ses vêtements et qui, pour ne pas se faire prendre, s’était laissé déchirer le ventre par les griffes et les crocs de l’animal sans broncher. La différence, c’est que l’enfant en est mort… Renaud, lui, s’est laissé à plusieurs reprises dévorer les entrailles par un Renard particulièrement agressif, mais il a, à chaque fois, réussi à le chasser hors de lui et, petit à petit, à cicatriser. Il lui reste néanmoins une grande fragilité du côté de l’épigastre.
En fait, ce foutu renard qu’il ne parviendra sans doute jamais à domestiquer, possède un petit nom : il s’appelle « Culpabilité ». Son « éternelle culpabilité » (page 158). Ce mot revient une bonne dizaine de fois tout au long de l’ouvrage. C’est un fardeau qu’il se coltine depuis son plus jeune âge et qui va constituer un frein à tout épanouissement, à toute sérénité. Mais ce qui vient encore plus compliquer la chose c’est que, à cette culpabilité, il a trouvé le moyen d’y ajouter d’autres sentiments complètement négatifs et inhibants : « ‘Je suis devenu étrangement grave au fil de l’adolescence, comme si une sourde inquiétude me plombait le cœur » (page 76). Mais ce n’est pas tout. Il évoque également « une peur obscure » qu’il porte en lui (page 141) qui va parfois le conduire jusqu’à la paranoïa.


Essayez de vous construire avec de tels handicaps aussi terriblement destructeurs. En dépit de tout l’amour qu’il a reçu, reçoit et recevra encore, tant de la part de ses parents, de ses femmes, de ses enfants et de son formidable public, il ne parvient pas à faire la part des choses et à être heureux… Chez lui, la Roche Tarpéienne est toujours proche du Capitole. Il a du succès, il gagne énormément d’argent… D’aucuns s’en sentiraient satisfaits ; pas lui. Le succès lui plaît, certes, car il s’agit là d’une reconnaissance envers son travail, mais l’argent qu’il lui rapporte, bien qu’il en soit le corollaire, l’indispose considérablement. Il reconnaît volontiers manquer de « distance » vis-à-vis de la vie. Renaud est un pénitent qui se complaît à s’auto-flageller. Alors que, lorsqu’on lit son livre, les raisons d’être rasséréné par son parcours abondent.

Renaud a accompli une œuvre. Et quelle œuvre ! Il a été et est toujours adulé par par une multitude de fidèles. Tout rebelle qu’il était, il a toujours été aimé. Particulièrement par les femmes ; sa mère, ses sœurs, ses deux épouses. C’est une chance inouïe que d’être autant aimé. Pour les avoir croisées, Dominique et Romane, les mères de ses deux enfants, sont de belles personnes, de belles âmes. Mais elles se sont senties impuissantes face à l’autodestruction systématique que leur bonhomme leur proposait en échange. Et plus il s’en rendait compte, plus il en souffrait et plus il s’enfonçait.
Personnellement, je range Renaud dans une catégorie d’artistes très particulières : les malades de trop de lucidité. Il fit partie de ces écorchés vifs que furent et sont Serge Gainsbourg, Philippe Léotard, Richard Bohringer, Jacques Dutronc…

Comme un enfant perdu est un livre courageux, intime, sincère. Je suis convaincu que son écriture lui aura fait beaucoup de bien. Peut-être a-t-il enfin réalisé combien son mal-être était aussi injustifié que frelaté. C’est un livre utile aussi. Utile aux autres, utile aux siens. Son témoignage permettra à ses proches de mieux le cerner, de mieux le comprendre.
En fait Renaud est resté un adolescent qui a refusé confusément  de devenir un adulte. Il a et aura toujours besoin d’une main dans la sienne pour l’accompagner, celle de sa mère, celles de ses épouses, celles de ses enfants.
Et son autre main, la droite, elle sera ainsi totalement libérée pour faire ce qu’il fait de mieux et ce pour quoi on l’adore : écrire, écrire et écrire encore.


Gilbert « Critikator » Jouin

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