Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine /
Havre-Caumartin
Une comédie de Josiane Balasko
Mise en scène par Dominique
Guillo
Décor de Dominique Guillo
Costumes de Christine Chauvey
Avec Elisabeth Buffet (Simone),
Denis Maréchal (Jacques), Jean-Christophe Barc en alternance avec Philippe Gruz
(Henri, le barman)
L’histoire : Tout oppose Simone et Jacques qui se rencontrent
par hasard en fin de soirée dans un bar désert de la Gare de l’Est.
Lui est un présentateur vedette
un peu ringard, et elle une fille paumée, haute en couleurs et très naïve qui
ne reconnaît pas l’animateur. Le serveur, aussi collant que bavard, fan de
Jacques, n’éprouvera aucune gêne à s’imposer au cœur de ce couple improbable.
L’alcool aidant, Simone et
Jacques vont, sans s’en rendre compte, se rapprocher. Beaucoup… Un peu trop
même…
Mais après une telle nuit d’ivresse, le réveil dans
l’appartement de Jacques sera forcément difficile, mémorable et
explosif !... Il ne se souvient de rien, ni qui est cette fille survoltée
et amoureuse installée chez lui, ni même d’avoir donné son adresse au barman
qui, évidemment, ne loupe pas l’occasion de débarquer…
Mon avis : Oh la la la quelle nuit ! chantait Sacha
Distel… C’est exactement la constatation affligeante qui devait tourner en
boucle dans la tête migraineuse de Jacques Belin, présentateur vedette d’un jeu
télévisé, lorsqu’il a émergé de la brume, chez lui, en plein milieu
d’après-midi… Nous, on ne se pose pas de question car nous avons été les témoins
fascinés et amusés de cette fameuse nuit. Et plus il se perd en interrogations,
et plus il est affligé en découvrant peu à peu les dégâts causés par ses
libations, plus on rit.
Josiane Balasko est une
dramaturge hors pair et Nuit d’ivresse
est une très, très bonne comédie. Son thème est très simple ; c’est la
rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare : le milieu social,
la culture, l’argent. C’est le Hasard et son goût pervers pour créer des
situations abracadabrantesques qui va les pousser l’un vers l’autre l’espace
d’une nuit. Le deuxième élément fédérateur va être l’alcool. Consommé sans
modération, il va provoquer en eux une forme de complicité. La nuit, tous les
chats sont gris, les paumés le deviennent aussi.
J’ai adoré cette nouvelle version
de Nuit d’ivresse. Pourtant le
challenge de la reprendre était osé. Les duos qui avaient interprété les
personnages de Simone et Jacques, tant au théâtre qu’au cinéma, c’était du
lourd. Et certaines situations étaient gravées dans nos mémoires. Or, j’ai vu
cette pièce avec un regard complètement neuf. Je me suis vraiment laissé
embarquer par les compositions particulièrement riches d’Elisabeth Buffet et
Denis Maréchal. Je connaissais et avais apprécié leurs seul(e)s en scène
respectifs et j’étais très curieux de voir comment leur association allait
opérer. En fait, ils ont conservé les personnages qu’ils campent dans leurs one
(wo)man shows. Denis Maréchal a toujours tendance à garder une espèce de
sérieux et de quant à soi, alors qu’Elisabeth Buffet est systématiquement
explosive et picaresque, voire clownesque. C’est un peu comme associer le feu
et la glace. Sauf qu’ici, la glace elle va fondre dans les verres de whisky de
Denis/Jacques et que le feu, Elisabeth/Simone va le mettre sur scène. Quelle
formidable idée que de les avoir réunis pour leur offrir ce bijou de comédie.
Elisabeth Buffet n’est jamais
allée aussi loin dans l’extravagance et le délire. Elle ose des accoutrements
improbables, des associations de couleurs qui font pleurer nos yeux (de rire).
Il faut avoir le talent de se dépersonnaliser totalement pour porter ce qu’elle
porte, y compris les chaussures. Elle nous propose une incroyable composition,
un mix entre la truculence de la Zézette du Père
Noël est une ordure et la l’abattage à la hussarde de la Gisèle des Vamps. Pour
paraphraser un autre humoriste, Jean-François Copé, Elisabeth Buffet, c’est la
maladroite décomplexée. En effet, pour aller aussi loin dans un personnage, il
faut savoir laisser ses inhibitions au vestiaire. Elle est capable de tout,
même du pire, sans jamais tomber dans la vulgarité. La moindre de ses postures,
de ses gestes, de ses mimiques sont d’une drôlerie rare.
En opposition à ce tourbillon
déchaîné, Denis Maréchal adopte un jeu précis, presque impavide. Il campe un
véritable mufle. Il est narcissique, méprisant et, contrairement aux liquides
forts qu’il ingurgite, franchement imbuvable. Josiane Balasko a mis dans sa
bouche des répliques particulièrement saignantes et vachardes. Pourtant, par
moment et, surtout en deuxième partie, on devine qu’il a malgré tout un bon
fond. Il n’est pas si pourri qu’il veut le laisser paraître. Il est un parfait
clown blanc face à son Auguste partenaire.
J’ai vraiment aimé les propositions de ce tandem. Ils se sont approprié les personnages de Simone et de Jacques et ils les ont recréés à leur façon. Sans copier personne. En étant tout simplement eux-mêmes.
Le personnage du barman est
également important. C’est monsieur Plus au niveau de la folie ambiante. Intrusif
et sans gêne, il n’a aucun scrupule pour se mêler de ce qui ne le regarde pas. C’est
un très beau rôle. Le seul reproche que je fais à la mise en scène (vraiment le
seul) c’est que son jeu est par moments trop outré et trop criard (il n’a pas
besoin par exemple de crier « Jacques Belin » comme il le fait ;
ce n’est pas crédible. Il nous ferait, je crois, encore plus rire s’il ne
sur-jouait pas. Les situations dans lesquelles il se met et met les autres sont
suffisamment drolatiques par elles-mêmes. En dehors de ces quelques exagérations,
Jean-Christophe Barc tire parfaitement son épingle du jeu.
En revoyant Nuit d’ivresse, j’ai réalisé combien cette pièce était
remarquablement écrite et construite. Il y a un côté Very Bad Trip dans cette histoire née dans le cerveau bouillonnant
de Balasko. Les dialogues sont incisifs, percutants, au scalpel. Et son
scénario a ceci d’intelligent qu’il a été scindé en deux parties. La première
traite de la rencontre dans ce rade crade, une rencontre qui va démontrer
combien on sort de soi-même lorsqu’on a de la cuite dans les idées et qui, de
ce fait, va se terminer en queue de boisson… Et la deuxième nous transporte
dans un autre univers, l’appartement moderne et stylé (superbe décor !) de
Jacques. Là, nos personnages vont nous apparaître sous un autre jour, dans leur
réalité. Le talent de Josiane Balasko est de savoir séparer le bon grain de
l’ivresse. Sa pièce est en effet hybride dans le bon sens du terme : dans
la première partie, elle fonctionne à l’éthanol (ou alcool éthylique) alors que
dans la seconde, elle utilise les sens en carburant aux sentiments. En clair,
la première partie est animale et la deuxième humaine. Les vrais caractères se
révèlent et le rire alors se partage avec l’émotion… Cette pièce est une
réussite !
Maintenant, il ne reste plus qu’à
souhaiter à la salle du théâtre Michel d’être comme les héros de Nuit d’ivresse : complètement
bourrée par un public saoulé de plaisir…
Gilbert « Critikator »
Jouin
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