vendredi 3 juin 2016

Nuit d'ivresse

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris
Tel : 01 42 65 35 02
Métro : Madeleine / Havre-Caumartin

Une comédie de Josiane Balasko
Mise en scène par Dominique Guillo
Décor de Dominique Guillo
Costumes de Christine Chauvey

Avec Elisabeth Buffet (Simone), Denis Maréchal (Jacques), Jean-Christophe Barc en alternance avec Philippe Gruz (Henri, le barman)

L’histoire : Tout oppose Simone et Jacques qui se rencontrent par hasard en fin de soirée dans un bar désert de la Gare de l’Est.
Lui est un présentateur vedette un peu ringard, et elle une fille paumée, haute en couleurs et très naïve qui ne reconnaît pas l’animateur. Le serveur, aussi collant que bavard, fan de Jacques, n’éprouvera aucune gêne à s’imposer au cœur de ce couple improbable.
L’alcool aidant, Simone et Jacques vont, sans s’en rendre compte, se rapprocher. Beaucoup… Un peu trop même…
Mais après une telle nuit d’ivresse, le réveil dans l’appartement de Jacques sera forcément difficile, mémorable et explosif !... Il ne se souvient de rien, ni qui est cette fille survoltée et amoureuse installée chez lui, ni même d’avoir donné son adresse au barman qui, évidemment, ne loupe pas l’occasion de débarquer…

Mon avis : Oh la la la quelle nuit ! chantait Sacha Distel… C’est exactement la constatation affligeante qui devait tourner en boucle dans la tête migraineuse de Jacques Belin, présentateur vedette d’un jeu télévisé, lorsqu’il a émergé de la brume, chez lui, en plein milieu d’après-midi… Nous, on ne se pose pas de question car nous avons été les témoins fascinés et amusés de cette fameuse nuit. Et plus il se perd en interrogations, et plus il est affligé en découvrant peu à peu les dégâts causés par ses libations, plus on rit.

Josiane Balasko est une dramaturge hors pair et Nuit d’ivresse est une très, très bonne comédie. Son thème est très simple ; c’est la rencontre improbable entre deux êtres que tout sépare : le milieu social, la culture, l’argent. C’est le Hasard et son goût pervers pour créer des situations abracadabrantesques qui va les pousser l’un vers l’autre l’espace d’une nuit. Le deuxième élément fédérateur va être l’alcool. Consommé sans modération, il va provoquer en eux une forme de complicité. La nuit, tous les chats sont gris, les paumés le deviennent aussi.


J’ai adoré cette nouvelle version de Nuit d’ivresse. Pourtant le challenge de la reprendre était osé. Les duos qui avaient interprété les personnages de Simone et Jacques, tant au théâtre qu’au cinéma, c’était du lourd. Et certaines situations étaient gravées dans nos mémoires. Or, j’ai vu cette pièce avec un regard complètement neuf. Je me suis vraiment laissé embarquer par les compositions particulièrement riches d’Elisabeth Buffet et Denis Maréchal. Je connaissais et avais apprécié leurs seul(e)s en scène respectifs et j’étais très curieux de voir comment leur association allait opérer. En fait, ils ont conservé les personnages qu’ils campent dans leurs one (wo)man shows. Denis Maréchal a toujours tendance à garder une espèce de sérieux et de quant à soi, alors qu’Elisabeth Buffet est systématiquement explosive et picaresque, voire clownesque. C’est un peu comme associer le feu et la glace. Sauf qu’ici, la glace elle va fondre dans les verres de whisky de Denis/Jacques et que le feu, Elisabeth/Simone va le mettre sur scène. Quelle formidable idée que de les avoir réunis pour leur offrir ce bijou de comédie.


Elisabeth Buffet n’est jamais allée aussi loin dans l’extravagance et le délire. Elle ose des accoutrements improbables, des associations de couleurs qui font pleurer nos yeux (de rire). Il faut avoir le talent de se dépersonnaliser totalement pour porter ce qu’elle porte, y compris les chaussures. Elle nous propose une incroyable composition, un mix entre la truculence de la Zézette du Père Noël est une ordure et la l’abattage à la hussarde de la Gisèle des Vamps. Pour paraphraser un autre humoriste, Jean-François Copé, Elisabeth Buffet, c’est la maladroite décomplexée. En effet, pour aller aussi loin dans un personnage, il faut savoir laisser ses inhibitions au vestiaire. Elle est capable de tout, même du pire, sans jamais tomber dans la vulgarité. La moindre de ses postures, de ses gestes, de ses mimiques sont d’une drôlerie rare.

En opposition à ce tourbillon déchaîné, Denis Maréchal adopte un jeu précis, presque impavide. Il campe un véritable mufle. Il est narcissique, méprisant et, contrairement aux liquides forts qu’il ingurgite, franchement imbuvable. Josiane Balasko a mis dans sa bouche des répliques particulièrement saignantes et vachardes. Pourtant, par moment et, surtout en deuxième partie, on devine qu’il a malgré tout un bon fond. Il n’est pas si pourri qu’il veut le laisser paraître. Il est un parfait clown blanc face à son Auguste partenaire.


J’ai vraiment aimé les propositions de ce tandem. Ils se sont approprié les personnages de Simone et de Jacques et ils les ont recréés à leur façon. Sans copier personne. En étant tout simplement eux-mêmes.
Le personnage du barman est également important. C’est monsieur Plus au niveau de la folie ambiante. Intrusif et sans gêne, il n’a aucun scrupule pour se mêler de ce qui ne le regarde pas. C’est un très beau rôle. Le seul reproche que je fais à la mise en scène (vraiment le seul) c’est que son jeu est par moments trop outré et trop criard (il n’a pas besoin par exemple de crier « Jacques Belin » comme il le fait ; ce n’est pas crédible. Il nous ferait, je crois, encore plus rire s’il ne sur-jouait pas. Les situations dans lesquelles il se met et met les autres sont suffisamment drolatiques par elles-mêmes. En dehors de ces quelques exagérations, Jean-Christophe Barc tire parfaitement son épingle du jeu.

En revoyant Nuit d’ivresse, j’ai réalisé combien cette pièce était remarquablement écrite et construite. Il y a un côté Very Bad Trip dans cette histoire née dans le cerveau bouillonnant de Balasko. Les dialogues sont incisifs, percutants, au scalpel. Et son scénario a ceci d’intelligent qu’il a été scindé en deux parties. La première traite de la rencontre dans ce rade crade, une rencontre qui va démontrer combien on sort de soi-même lorsqu’on a de la cuite dans les idées et qui, de ce fait, va se terminer en queue de boisson… Et la deuxième nous transporte dans un autre univers, l’appartement moderne et stylé (superbe décor !) de Jacques. Là, nos personnages vont nous apparaître sous un autre jour, dans leur réalité. Le talent de Josiane Balasko est de savoir séparer le bon grain de l’ivresse. Sa pièce est en effet hybride dans le bon sens du terme : dans la première partie, elle fonctionne à l’éthanol (ou alcool éthylique) alors que dans la seconde, elle utilise les sens en carburant aux sentiments. En clair, la première partie est animale et la deuxième humaine. Les vrais caractères se révèlent et le rire alors se partage avec l’émotion… Cette pièce est une réussite !
Maintenant, il ne reste plus qu’à souhaiter à la salle du théâtre Michel d’être comme les héros de Nuit d’ivresse : complètement bourrée par un public saoulé de plaisir…


Gilbert « Critikator » Jouin

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