mardi 31 octobre 2017

Mandibules

Théâtre du Marais
37, rue Volta
75003 Paris
Tel : 01 71 73 97 83
Métro : Arts et Métiers

Tous les lundis à 19 heures. Jusqu’au 18 décembre

Seule en scène écrit et mis en scène par Adrien Costello
Costumes d’Anne Valentine
Collaboration artistique : Isabelle Layer

Interprété par Alice Costello (Lucana)

Présentation : Alors qu’un grand cataclysme a détruit la planète, il semble que le dernier survivant soit… « une » scarabée.
Dans son abri, l’insecte se sent terriblement seule et lutte pour sa survie. Pour tromper la folie qui la guette, elle fait revivre des personnages qu’elle a connus avant la fin du monde. On parle du climat, de politique, de racisme, de drogue, du show business… et surtout on rêve, on rit, on est ému aussi.

Mon avis : Jamais je n’avais osé imaginer passer une heure et quart en tête-à-tête avec un insecte. Mais Lucana n’est pas une bestiole comme les autres. D’abord, elle semble être le dernier être vivant de notre planète anéantie par un cataclysme et, ensuite et surtout, elle est douée de la parole. Et pour être douée, elle est douée !
J’ai rencontré hier soir une véritable scarabête de scène !
Alice Costello est un phénomène (tiens, il n’y a pas de féminin à « phénomène » ?...) J’ai rarement vu quelqu’un posséder autant de qualités, une telle variété, une telle puissance et une telle subtilité de jeu. Quelle présence ! Elle est fascinante. Ses silences sont aussi éloquents que ses mots. Dans son regard incroyablement expressif, on peut saisir le moindre des sentiments qui l’habite. Son visage est un livre ouvert. Candeur, étonnement, révolte, mélancolie, enthousiasme… elle sait tout faire passer, tout traduire. Alice est un couteau suisse dans lequel il ne manque aucun élément, y compris celui qui pourrait sembler le plus futile. Sa créature, la Lucana, est tout autant folle que sage, truculente que délicate, trash que poétique.
Le pire est que je ne suis absolument pas excessif dans mes louanges. Alice Costello est dotée d’un potentiel énorme, son éventail de jeu est exceptionnel. Elle est véritablement touchée par la grâce.


Vous l’aurez, je pense, compris : ça vaut la peine d’aller voir Mandibules au Théâtre du Marais rien que pour assister à une remarquable performance de comédienne. Car, en plus de sa finesse de jeu, Alice Costello fait ce qu’elle veut avec son corps et avec sa (ses) voix. Aussi douée pour le hip-hop que pour la danse classique, elle possède toute une gamme d’accents et de timbres (son imitation de Fanny Ardant est bluffante, son aisance dans le langage des jeunes des cités est réjouissante…). J’ai apprécié aussi la dose de burlesque et la pincée d’humour noir dont elle a saupoudré certaines scènes.


Maintenant, il reste le texte. Dans ce domaine, mon foutu esprit par trop cartésien n’a cessé de me faire des croche-pieds pour que je ne puisse pas le prendre intégralement… mon pied. Voici, en gros, ce qu’il m’a insidieusement soufflé : Mandibules est un vaste fourre-tout, un patchwork un tantinet décousu. Son auteur, Adrien Costello, a voulu, par excès de gourmandise, trop mettre de choses dans ce spectacle. Résultat, on a l’impression d’assister à une succession de tableaux sans aucun lien entre eux. On comprend, bien sûr, tous les thèmes qu’il a voulu aborder. Mais cela donne un spectacle disparate, divisé en une demi-douzaine de saynètes. Sa cuisine est presque trop riche car il y a mis trop d’ingrédients qui ne se marient pas forcément les uns aux autres : la cérémonie des Césars, le stand-up façon 9-3, le slam social, les grèves, les revendications syndicales, la satire politique, le racisme, les quartiers sensibles, « Je suis Charlie », la drogue… Il a voulu dresser une sorte d’état des lieux de notre pays à un moment « T » ; depuis cet instant où le monde a été détruit un funeste mois de septembre 2016. C’était donc hier. Il a donc essayé de tout traiter, du léger au grave, avec la même intensité, avec le même esprit d’urgence.

Cette pièce contient des moments de grâce, des moments forts, des moments d’une drôlerie absolue, qui tous sublimés par l’interprétation et l’implication de la comédienne. Ce qui nous permet de ne jamais lâcher prise. Il y a dans Mandibules plusieurs spectacles en un. On ne va quand même pas bouder notre plaisir pour un excès de richesse !
Bref, je n’ai nulle envie de pulvériser de l’insecticide sur cette formidable et attachante Lucana, mais plutôt de vaporiser sur elle le parfum du succès que sa formidable présence scénique mérite.

Gilbert « Critikator » Jouin


Aucun commentaire: